Vitrines

Le 11 mars 1977, lors d'un assaut mené contre l'université de Bologne occupée par les étudiants en grève, la police italienne tue Francesco Lorusso, un militant de Lotta continua. «La ville devait se souvenir de ce jour» raconte Franco Berardi, ancien animateur de Radio Alice. Il se souvient que le 12 mars, parce qu'«ils ne voulaient pas répondre au sang par le sang», 10 000 manifestants rendent hommage à leur camarade assassiné en détruisant de façon systématique toutes les vitrines de la ville. Cet évènement est connu comme «l'opération vetrina». (La municipalité communiste de Bologne était alors considérée comme la «vitrine du socialisme à visage humain», honni par les mouvements gauchistes.)

Vingt et un ans plus tard, je n'avais pas connaissance de cet épisode historique quand j'ai entrepris à Milan l'action Lavaggio vetrina. Je me souviens qu'à mes yeux d'alors, devant les vitrines des galeries d'art, ces frontières invisibles «qui laissent passer les regards mais pas les corps», la seule alternative possible était de «les briser ou bien les laver». J'avais choisi la deuxième option, plus conforme selon moi à ce que j'essayais de montrer de la violence des barrières symboliques.


Bien que ce ne soit qu'une coïncidence, je ne peux m'empêcher de voir rétrospectivement le dessin d'une filiation possible entre ces deux histoires qui mettent en perspective un decrescendo dans le recours à la violence symbolique : casser plutôt que tuer en 1977; laver plutôt que casser en 1998.