Moine captchiste

Je trouve des captcha sur Internet et je les copie.



Comme leur résolution bitmap est très basse je dois les réinterpréter et prendre des décisions de créateur de caractères typographiques (épaisseur et hauteur des fûts, forme des empattements, courbes, etc.). Cette pratique puise aux fondements du dessin vecoriel et de son logiciel phare, avec lequel je les redessine.

En essayant de trouver la logique graphique de ces formes générées par une machine pour en tromper une autre, je fais valoir mes qualités d’humain là où elles sont inutiles. J’insère un bouffon dans un univers de contrôle. Je prends au pied de la lettre l’acronyme Captcha et le retourne comme un gant. Là ou il faut se contenter de saisir au clavier les lettres déformées que l’on déchiffre à l’écran pour accéder au suivant, je décide de m’arrêter pour les recopier. Ce faisant, je me trompe volontairement de niveau d’authentification. En recopiant je considère la forme des lettres plutôt que de les lire. Cette position d’analphabête naturaliste me semble la seule possible devant ces mots sans sens, ces signifiants qui ne renvoient à aucun signifiés. Elle est la sincère expression du désaroi de la raison devant ce petit scandale sémantique.



Mais une fois que je les ai extrait du système, que je les ai recopié et que je les regarde à nouveau, je ne peux que me rendre à l’évidence : une succession de lettres est un mot. Et ces mots ont ceci de fascinant qu’ils sont une matière d’écriture pure. Ils ne décrivent pas d’idée ni de discours, ne rendent aucun compte au sens.



Si ce qui les fonde est un protocole d’échange utilitaire et sophistiqué, une fois extraits de leurs contexte, il sont comme des graffitis orphelins qui défient l’autorité du langage à dire le vrai.
Leur mutisme un peu borné, leur incapacité à faire du sens malgré qu’on les déchiffre, renvoie à un certain « degré zéro de l’écriture ». Inarticulés mais prononçables, ils ne sont pas des borborygmes préhistoriques, mais des singeries presques parfaites de notre langage abouti. Ils sont troublants parce que presque pareils, irritants dans leur proximité nonchalante.