Aura


Je me souviens du père d'un ami qui avait offert une Bible à chacun de ses quatre enfants à l'occasion de leur « communion solennelle » respective et successive. L'homme affirmait avoir lu chacun des volumes offerts, manifestant ainsi sa répugnance à transmettre un ouvrage qui n'aurait pas recueilli la trace invisible du parcours de ses yeux sur chacune de ses lettres.

3 Canons



3 Canons, une exposition de Clément de Gaulejac
À Occurrence, espace d'art et d'essai contemporains
5277 Avenue du Parc, Montréal
Du 4 décembre 2010 au 22 janvier 2011
Vernissage vendredi 3 décembre 2010 dès 17h.

Si l’on peut définir l’art conceptuel comme un « resserrement de l’œuvre autour de son propre énoncé », une partie de l’art post-conceptuel – conscient des acquis extraordinaires de ce resserrement – tente cependant de lui donner un peu de lousse. C’est dans cette filiation historique, à la recherche ambitieuse d’un dénouement possible, que se situent les enjeux des trois œuvres de l'exposition. Comment concilier l'héritage esthétique de la ligne claire d'Hergé avec celui des protocoles documentaires de l'art conceptuel? Quel espace pour une critique de la critique institutionnelle institutionnalisée? Comment relancer le sens des icônes en évitant le double piège de l'idolâtrie et de l'iconoclasme? C'est le régime forcément polyphonique de ces questionnements que je cherche à faire entendre au travers des trois canons de l'exposition, Les drapeaux de Buren (vidéo), Fonds (toiles) et une sélection des dessins du Livre Noir de l'Art Conceptuel.

Au plaisir de vous y croiser!

Nous y voilà (26)


In Une jeunesse qui s'enfuit, de C.Blain, J.Sfar & L.Trondheim , p.21

Le mauvais doublage

Une vidéo à circulé où l'on pouvait voir et entendre Woody Allen (encore lui) expliquer pourquoi il avait du renoncer à faire jouer Carla Bruni dans son dernier film. Il y confie que malgré toutes ses qualités en tant que personne, elle a beaucoup de progrès à faire comme actrice et surtout que les visites intempestives de son mari sur le plateau et les colères alors piquées dérangeaient trop le tournage pour continuer la collaboration. Cette histoire ravit à plus d'un titre – la revanche de l'art sur le politique, de la sensibilité sur la rudesse, de l'humour sur le pouvoir, etc. – son seul défaut est qu'elle n'est pas vraie. C'est bien Woody Allen qui parle et son discours n'est pas tronqué, mais le doublage lui fait dire autre chose que ce qu'il ne dit en réalité. Habilement calé sur la gestuelle et les hésitations de Woody, singeant le ton un peu trainant propre au doublage simultané, le canular prend magnifiquement possession de notre désir d'y croire.
PS: le fou rire du ministre des finances suisse était lui aussi surinterprété. Dans son discours, il n'évoque ni la France ni son président, mais répond à une question sur la hausse des importations de viande assaisonnée.

Le clou des Dalton


Quand il arrive à Fenton Town pour y rétablir l’ordre, Lucky Luke commence par faire le ménage dans le bureau en ruine de son prédécesseur. Ce n’est que lorsqu’il reçoit la visite menaçante de Dean Fenton et à la demande de celui-ci qu’il prend soin de lui signifier, ainsi qu’à tous les desperados qui l’accompagnent, en quelle qualité il aménage: Il demande à Fenton de l’aider à tenir pour qu’il la cloue la pancarte sur laquelle est inscrite la réponse à la question. La canaille s’exécute et permet à Lucky Luke de s’instituer Shérif.

Un peu plus tard, ce seront les Dalton qui s’empareront de cette ville redevenue déserte pour en faire un lieu de perdition. Il prendront bien soin à leur tour d’instituer les lieux en répétant les mêmes gestes que Luke quelques pages plut tôt : Joe utilise comme marteau la crosse de son revolver pour remplacer le panneau d’entrée de ville en clouant sous les yeux satisfaits de ses frères la nouvelle désignation du lieu: Dalton City.

In Dalton City, de Morris et Goscinny, 1969, pages 7 et 23.

Nous y voilà (25)


In Votez Rocky, de Franck Margerin, p.22

Les poteaux du Plateau

Le 15 juillet dernier, la Cour d’appel a rendu public un jugement qui invalide l’interdiction municipale montréalaise « d'inscrire un message, de coller ou d'agrafer une affiche ailleurs que sur une surface prévue à cette fin ». Le jugement stipule que cette réglementation viole la Charte canadienne des droits et libertés (d’expression en l’occurrence). Cette décision va dans le sens des revendications de la C.O.L.L.E. qui s’est faite la porte-parole de la culture indépendante de Montréal et de son attachement à la liberté d’affichage.



Je me demande si, du coup, la Ville de Montréal va continuer à « nettoyer » les poteaux bien situés ― nettoyage consistant à arracher les affiches et dont la particularité est de faire apparaître des générations de broches ayant servi à fixer des générations d’affiches. Ainsi, dans un même mouvement, l’arrachage met à nu l’accrochage et révèle la valeur quasi-patrimoniale de l’affichage sauvage.

Nous y voilà (24)


In Les marais du temps, de Franck Le Gall, p.5

Le clou du Capitaine Achab



Quelques 240 pages après que le lecteur ait convenu avec le narrateur de l’appeler Ismaël, une première mention est faite de la baleine blanche qui donne son nom au chef-d’œuvre d’Herman Melville. Et c’est Achab lui-même, le furieux capitaine du Pequod qui se charge des présentations. Au début du chapitre 36, alors que la fin du jour approche, il cale sa jambe de bois dans un trou du gaillard d’arrière et y convoque la totalité de son équipage pour cette harangue :

« Vous tous, les guetteurs, m’avez, plus d’une fois, entendu donner des ordres au sujet d’une baleine blanche. Regardez bien ! Vous voyez ce doublon ? et il éleva dans le soleil une large pièce d’or – il vaut seize dollars, les gars ! Vous le voyez bien ? Monsieur Starbuck passez-moi la masse, là-bas… Tandis que le second allait quérir le marteau, Achab, sans mot dire, frottait lentement la pièce d’or sur les pans de sa vareuse, comme pour en aviver l’éclat, en fredonnant à voix basse un air sans paroles, dont le son si étouffé, si indistinct semblait être le bourdonnement des rouages de sa vie intérieure. Prenant le marteau des mains de Starbuck, il marcha sur le grand mât, le marteau levé dans une main, brandissant de l’autre le doublon, et s’écria à voix forte : « Celui d’entre vous, les gars, qui me lèvera une baleine à tête blanche, au front ridé et à la mâchoire de travers, celui d’entre vous qui me lèvera cette baleine à tête blanche dont la nageoire de la queue est percée de trois trous à tribord – écoutez bien ! celui d’entre vous qui me lèvera cette baleine-là, celui-là aura cette pièce d’or, les enfants ! » – Hourra ! Hourra ! crièrent les marins en agitant leurs suroîts pour saluer le clouement au mât du doublon. »

S’ensuit une description de Moby dick et l’exposé du but véritable de l’expédition du Pequod : la vengeance du Capitaine Achab dont le cachalot blanc emporta jadis la jambe, l’obligeant à «se tenir debout sur un moignon mort». Quelque 250 pages plus loin, au chapitre 99, les membres de l’équipage soliloquent chacun à leur tour à propos du doublon, «isolé et sanctifié» sur son mât, révéré comme «l’emblème évocateur de la Baleine blanche». Pip, l’idiot du navire, à le dernier mot de cette ronde prophétique :

« Ce doublon-là, c’est le nombril du navire, et ils brûlent tous de le dévisser. Mais dévissez-vous le nombril, qu’en adviendra-t-il ? D’autre part, s’il reste en place, c’est laid aussi car, lorsque quelque chose est cloué au mât, c’est un signe qu’une affaire devient désespérée. Ah ! ah ! vieil Achab ! la Baleine blanche, elle te clouera! »

On sait que la folie d’Achab entrainera le Pequod et son équipage à leur perte. À la fin du roman, le cachalot coule le navire en le fracassant de son front puissant et emporte le capitaine dont le cou s’est retrouvé noué par la ligne d’un harpon. Ismaël, seul survivant de ce cataclysme assiste à l’engloutissement du navire :


« Mais tandis que les derniers tourbillons se refermaient sur la tête de l’Indien au grand mât, laissant encore émerger sa flèche ainsi que le penon qui flottait paisiblement de toute sa longueur, la dérision d’une coïncidence voulut qu’au-dessus des lames destructrices qui le touchaient presque, un bras rouge tenant un marteau sortit de l’eau et d’un geste large, se mit à clouer plus fort et toujours plus fort le drapeau à l’espar qui pointait encore. Un aigle de mer avait suivi, provoquant, la descente du grand mât loin de sa vraie demeure parmi les étoiles, harcelant Tashtego en piquant du bec le drapeau ; son aile se mit à battre entre le marteau et le bois et, sentant aussitôt ce frisson éthéré, le sauvage noyé, dans la convulsion de son agonie, le cloua. Ainsi l’oiseau du ciel au cri d’archange, le bec impérial levé, le corps captif du drapeau d’Achab, sombra avec son navire qui, tel Satan, ne descendit pas en enfer sans avoir entraîné à sa suite une vivante part de ciel pour s’en casquer.
»


Le premier clou lie le destin des hommes à celui du navire. La fortune recherchée par les marins est littéralement clouée au bois du grand mât au moment même ou est prononcé pour la première fois le nom de la baleine blanche. Quand les espoirs de fortune seront engloutis avec ceux qui les portent, c’est l’aile d’un aigle de mer qui sera pris pour un drapeau par le bras aveugle du païen Tashtego et clouée à son tour, sur la partie haute de ce même grand mât. Ces deux clous changent successivement le statut des objets qu’ils fixent : le doublon devient le blason qui inaugure la traque de la baleine et l’aigle de mer le triste étendard du naufrage qui la termine.

Nous y voilà (23)


In Santo contre la femme Vampira, de Alexandre De Moté, p.2
Sur le site de Grand papier, (Merci Olive!)

Nous y voilà (22)

Au fil des pages de l'inénarrable Commissaire Toumi d'Anouk Ricard, découverte de 4 nouveaux «Nous y voilà» (en plus du «nous y voilà enfin, chef» de la page 27). Un gisement!

p.30

p.44

p.55

p.72

Des poils et des mouches


Dans Magical Maestro, un dessin animé réalisé par Tex Avery en 1952, le personnage du chanteur Poochini s’interrompt quelques instants pour arracher un poil coincé dans la fenêtre du projecteur. Ce poil fictif me fait penser au procédé des mouches que certains peintres de la renaissance ont utilisé pour marquer un point d’entrée du regard ou un un élément signifiant du tableau. Daniel Arrasse a montré comment ces mouches créaient une sorte d’espace transitionnel entre l’espace de la peinture et celui du spectateur. Le cheveu de Tex Avery, à l’instar des mouches de la renaissance est à la fois dans l’espace du film et dans celui du spectateur, il crée cette zone jubilatoire ou le contrat narratif passé entre le film et le spectateur change de niveau cognitif. Quand Poochini jette le poil en dehors du cadre, on renoue aussitôt avec l’illusion réaliste du film (si on peut parler de réalisme à propos de Tex Avery), mais comme on revient à l’horizontale après un looping, ébouriffé et content (enfin j’imagine).


Petrus Christus, Portrait de moine chartreux (détail), 1446, Metropolitan Museum of Art, New York.

Mauvaise foi



Si je vois une photo de Woody Allen avec écrit dessous Georges Perec, mes yeux qui reconnaissent Woody Allen veulent aller dans une direction, mais mes mêmes yeux qui lisent Georges Perec s’en vont dans une autre. Au-delà du comique inhérent à tout strabisme, cette disjonction texte-image peut être utilisée volontairement pour créer une situation perverse et signifiante. Cette méthode de travail s’apparente à la mauvaise foi.

Signalétique assourdie

Plis


Nous y voilà (21)


In La forge de Neptune de Grégoire Carlé, Lapin n˚39 p. 190