Siegwart Kromekote peint à même le mur des toiles monochromes à l'apparence de trompe-l'œil dont le format est calqué sur celui des châssis standards en vente dans le commerce, et dont l'épaisseur est indiquée par une tranche blanche sur laquelle sont figurés les clous de tapissier qui tendent la toile. L'œuvre n'est pas sans faire penser à celle de Claude Rutault, mais c'est dans celle de Georges Rouault que Kromekote en situe les origines. Il prétend en effet avoir ressenti une vive émotion, le jour où, découvrant le travail du peintre catholique dans une salle du Musée National d'Art Moderne, il avisa une vitrine dans laquelle étaient exposées de petites esquisses préparatoires dont la tranche était protégée par du papier kraft sur lequel Rouault avait figuré au crayon les clous masqués par le papier. Kromekote a vu dans cette présentation improbable quelque chose d'essentiel pour le développement ultérieur de sa pratique, à savoir que «la peinture doit montrer ce qu'elle cache.» Dans un article intitulé Pour des clous!, Pierre Ménard prétend que ces clous, stéréotypes indiciels de l'objet tableau, déjouent l'illusion figurative des fausses toiles résolument abstraites de Kromekote et désignent le véritable objet – s'il en est – de sa peinture : le mur peint.
Mais comme on le sait, la citation est un principe à double fond chez Pierre Ménard. De la même manière que les chapitres du Quichotte qu'il a autrefois réécrits scrupuleusement n'ont pourtant rien de commun avec ceux écrits par Cerventes, les clous de Kromeloke ne peuvent en rien se réclamer de ceux que Rouault n'aurait «jamais pris le temps de redessiner.» Et Ménard d'ironiser sur le caractère fantomatique, voire naïf, de la référence du peintre : «On s'en serait douté, mais Siegwart Kromekote, quant à lui, n'a réalisé que beaucoup plus tard que le papier kraft avait dû tout simplement laisser transparaître la rouille des clous qu'il recouvrait.»
S.K. Série Paysages, 1988, Collection Y.J. et P. Devautour