Pour le dire autrement

Il y a un Lion de Belfort à Montréal, au Square Dorchester. Réalisé en 1897 par le sculpteur George William Hill, ce Lion est une copie en granit de celui de la place Denfert–Rochereau à Paris, réalisé par Frédéric Bartholdi (le sculpteur de la statue de la Liberté). Si le lion montréalais symbolise la force du protectorat britannique, le lion parisien symbolise quant à lui la défense nationale française. La permutabilité des symboles nationaux est réjouissante, mais cette reproduction évoque aussi pour moi une histoire personnelle.


Un beau jour, alors que j’avais terminé mes études d’artiste depuis quelques mois et que je vaquais dans les rues de Paris, je constatai l’absence du Lion de Belfort sur son socle. Associant aussitôt cette vacance à la mienne, je perçus comme un effet miroir entre le retrait de la sculpture et mon désœuvrement de sculpteur. De cette identification me vins l’idée qu’il pouvait s’agir là d’un clin d’œil du destin, d’un petit coup de pouce comme on dit quand on a des relations : une occasion à saisir. Renseignement pris auprès des autorités compétentes, j’appris que le lion était en rénovation pour quelques mois. Avec de la feutrine et de la fourrure artificielle, je me confectionnai un masque et un costume de lion. À la suite de quoi je montai sur le socle vacant afin d'y assurer une vigie citoyenne au milieu de la circulation automobile.


Quelque temps plus tard, je quittai Paris pour Montréal où les modalités de la vraie vie sont un peu différentes, mais non moins véritables. Les années passèrent encore et je me retrouve dans la situation de dessiner le récit de cette ancienne performance. En me documentant, je découvre l’existence de la réplique montréalaise du lion. Je ne peux m’empêcher de voir cette coïncidence comme un passage secret entre mes deux villes, une clé sans puits pour la perdre.

L'angoisse de Donald


Donald a fait une bourde et il a très peur de la réaction de son oncle (Picsou). Aussi quand le téléphone sonne est-il tétanisé, incapable de répondre. Un de ses neveux essaye de le rassurer : le combiné est resté posé sur le téléphone ; si cela avait été l’oncle, il se serait soulevé dans les airs au dessus de son socle, en vociférant à l’excès.

On peut faire de ce gag, lu dans Picsou magazine il y a environ 25 ans, une lecture rétrospective. Ce qui n’était pas possible alors (savoir qui est au bout du fil sans décrocher) est devenu une fonction essentielle, bien qu’optionnelle, des téléphones contemporains. Désormais, au son du timbre un nom s’affiche.

Il y a cependant quelque chose dans l’angoisse de Donald qui échappe à cette lecture anachronique. La sonnerie du téléphone comprime la quantité vertigineuse de toutes les ignorances du canard dans un monde possible devenu dès lors minuscule. La certitude du neveu, elle, s'offre un monde infini au delà des limites du plausible (« si cela avait été l’oncle, le combiné se serait soulevé dans les airs au dessus de son socle »).

L’absence de gestuelle du téléphone donne un renseignement formel : ce n’est pas l’oncle Picsou qui appelle.

Mais alors qui ?

Indécision


Dans Twin shot, jeu crée par le studio Nitrome, le joueur incarne un petit chat ailé qui doit tuer des monstres à l’aide de son arc. Parmi ces monstres il y a une créature particulièrement gracieuse, une petite boule noire aux yeux blancs et aux sauts longs, imprévisiblement déliés. Les flèches tirées par le chat ailé, quand elles ont manqué leur cible, restent plantées un moment avant de disparaître de l’écran. Le chat peut alors grimper dessus pour explorer le tableau. Mais c’est parfois la petite créature noire qui saute sur une de ces flèches.
Il arrive alors quelque chose d’extraordinaire : elle se retrouve piégée dans une espèce d’indécision saccadée, tournant sur elle-même comme un derviche binaire qui serait bloqué dans une contradiction, incapable d’accéder à l’extase dialectique.

Spirale


La revue Spirale publie dans son numéro du mois de mai un porte-folio de mon travail accompagné d'un entretien avec Magali Ulh.