Julien Leclou (L'argent de poche)



– Qu’est-ce qui se passe là-bas? demande l’infirmière.
– C’est Leclou qui veut pas se déshabiller! lui répond le cœur des enfants.
À la fin de L’argent de poche (François Truffaut, 1976), le jeune Julien Leclou est forcé de se déshabiller (de s’exposer), pour passer la visite médicale de son école. La maltraitance dont il est victime apparaît alors au grand jour et le film bascule vers son dénouement à la fois narratif et moral.



Comme le suggère le titre du film, l’argent de poche est à l’argent ce que l’enfance est à l’âge adulte : une petite valeur qui circule au milieu d’une plus grande. C’est également le sens que semble donner au film l’instituteur joué par Jean-François Stevenin quand il s’adresse aux élèves pour tenter de mettre en mots cette «même chose» à laquelle «tout le monde pense» : la découverte des blessures sur le corps de Julien Leclou, son (dé)placement en famille d’accueil et l’arrestation de ses parents maltraitants. Dans son discours il oppose les adultes qui ont la possibilité d’améliorer leur vie, «quand ils le veulent vraiment», aux enfants pour qui cet affranchissement est impossible, du fait même de leur non-conscience de ce qui les opprime. Ce constat est optimiste, mais sur un mode paradoxal : personne n’est condamné à souffrir … toute sa vie. Pour Julien, il admet que le mal dont il a été la victime s’est redoublé d’un enfermement dont il aura peine à sortir. Un peu plus tôt, il essayait de soulager la culpabilité de l’institutrice qui n’avait rien remarqué : «N’oubliez pas que le petit Leclou faisait tous ses efforts pour ne rien laisser paraître de ce qui se passait chez lui.» C’est cette invisibilité de la souffrance de Julien que combat le cinéma de Truffaut, tout entier solidaire des mots de l’instituteur.



Quand on découvre Julien au début du film, c’est par un lent traveling vertical, des pieds à la tête. Ce mouvement de caméra semble signifier (rétrospectivement) : voyez la force de cette vie qui pousse malgré tout. Immédiatement après cette présentation au spectateur, Julien est présenté aux élèves, et il reprend à son compte l’affirmation de cette force, en opposant l’évidence de son existence à l’incrédulité de son jeune voisin de pupitre :
– T’habites où?
– Vers les Mureaux
– Y’a pas de maisons là-bas!
– Bien sûr que si y’a des maisons, j’y habite!



Julien Leclou est le pivot de L’argent de poche. Il est la plante vénéneuse qui organise cette chronique des vies ordinaires autour du lent dévoilement de ce que personne ne veut voir. Ce n’est pas pour rien que le dernier plan du film dans lequel apparaît Julien est précisément celui où la femme médecin approche de sa poitrine un appareil qu’on suppose de radiographie et qui s’apparente beaucoup à un projecteur. Julien disparaît dans une sorte de mise en lumière à la fois attendue et redoutée.